Prix Habib Sharifi

Mostafa Hazara

Par Sophia Gaillard, Paris, le 14 mai 2025

Interview portrait d’un artiste à fleur de mots, polyglotte et lettré

En 2024 à 35 ans, le poète et journaliste afghan Mostafa Hazara devenait l’un des lauréats du Prix Habib Sharifi de ala Conatus Foundation. Au détour d’une question, il déclame au débotté des vers de poèmes en anglais, en farsi ou en arabe. Citant dans le texte, le poète et écrivain Palestinien de renommée internationale Mahmoud Darwich (1941-2008), dont l’œuvre se concentre sur la nostalgie de la patrie perdue. Il n’hésite pas à partager de mémoire et en arabe, des passages de « L’Orientalisme » de l’universitaire et chercheur Palestino-américain Edward Saïd (1935-2003), considéré comme le texte fondateur des « Etudes Post-Coloniales ». Avec une humilité et un naturel déconcertants, Mostafa Hazara égrainera les mots du poète persan du XIIIème siècle Rumi. Passionné et lyrique, il évoquera également les vers du célèbre poète et mathématicien Persan Omar Khayam (v. 1048-1131), récitant les « Rubaiyat » c’est-à-dire « les Quatrains », poème sensuel et mystique qui prône « le vin et l’ivresse de Dieu ». Une provocation ultime face au chagrin et au désespoir, au-delà des interdits religieux. Pourtant, c’est à travers les œuvres et les mots du poète et universitaire Habib Sharifi (1933-2021) que Mostafa Hazara trouvera le chemin de la résilience et la force d’écrire ses premiers poèmes, publiés en France. Ils sont inspirés du poème « Le Cri » d’Habib Sharifi.

Quel impact le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation remporté en 2024 a-t-il eu sur votre parcours, en tant qu’écrivain et poète ?c

Avant de connaître la Fondation Habib Sharifi, je connaissais son œuvre, ses textes et son parcours d’homme déraciné. Une histoire à laquelle je pouvais m’identifier et qui était un modèle pour moi, une force et une inspiration aussi.

Comment Habib Sharifi a-t-il fait pour respirer la poésie et traduire la souffrance de l’exil en terre de littérature ?

Nos sujets de prédilection sont différents, mais notre quête et notre message sont semblables : comment trouver la force de survivre dans l’exil ? C’est une question qui n’a pas du tout le même écho, selon les cultures, les religions et les pays. Chaque mot du poème « Le Cri » d’Habib Sharifi est une clé pour trouver un moyen de transcender la souffrance du déracinement, pour y survivre. Ma rencontre avec la poésie d’Habib Sharifi a changé ma vie et la vision que j’avais de mon existence : ma valeur en tant qu’exilé en France, mais surtout en tant que poète, qui ne maîtrisait pas la langue de Molière !

Comment ce Prix a-t-il relancé votre inspiration pour produire de nouveaux poèmes, après votre dernier exil ?

Lorsque vous êtes obligés de fuir votre terre, vous ne perdez pas seulement votre patrie, votre langue, vos compatriotes et vos repères : vous vous perdez vous-même. J’avais une excellente situation en Afghanistan. J’étais reconnu pour mon travail et pour mes publications. J’étais un prophète des mots et l’exil m’a rendu muet et invisible. Je ne connaissais ni la langue, ni la culture du pays qui m’accueillait. Heureusement, la poésie est un art que personne ne peut vous enlever. Les mots des poètes se gravent dans nos esprits et survivent dans nos cœurs, où que nous soyons.

Avant de connaître le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation, je pensais que j’avais perdu toute légitimité à écrire des poèmes, que personne ne saurait comprendre.

Puis, j’ai découvert que pour cette Fondation, l’important c’est l’art, la créativité et l’émotion que l’on peut transmettre qui comptent vraiment. Ils m’ont accepté avec mes lacunes, mes doutes et mes différences.  Ils ont proposé de traduire mes textes en français et même de m’accompagner pour les éditer et les partager avec le plus grand nombre. C’est ainsi que j’ai eu l’immense privilège d’être accompagné et traduit par Leili Anvar, doctorante et experte en littérature persane. C’est un peu comme un miracle pour un artiste en exil ! Mes trois premiers poèmes, écrits en France, sont directement inspirés du poème « Le Cri » d’Habib Sharifi. C’était comme une évidence pour moi.

Qu’est-ce qui vous touche le plus dans « Le Cri » d’Habib Sharifi ?

Ce poème m’inspire l’image d’un homme, assis à l’angle de bar, qui regarde la rue sous la pluie. Une colère sourde gronde au fond de son âme. Il y puise les mots puissants et déchirants de son poème : c’est « Le Cri ». Il y cite « le vin ». C’est le breuvage que l’on retrouve dans différentes religions, mais c’est aussi celui qui désinhibe et ouvre les portes de la vérité. Les mots qu’il emploie sont libres et sans tabous.

Habib Sharifi fait ensuite référence au « sang ». Dans notre culture, c’est le symbole du mouvement, de la perpétuelle circulation de ce liquide rouge pour fait battre notre cœur et nous maintient en vie. Ces mots nous rappellent que vivre, c’est avant tout être en perpétuel mouvement : ce sang qui nous pousse à avancer et à aider les autres à avancer !

Vous avez connu deux fois l’exil : votre enfance en Iran, puis votre retour sur vos terres natales d’Afghanistan à l’adolescence. Ensuite votre départ forcé pour la France en 2021, à l’âge de 32 ans. Qu’est-ce que ce double déracinement a changé dans votre vision du monde ?

Lors de mon premier exil en Iran, je n’ai pas vraiment ressenti de choc de civilisation, car je comprenais la langue et les codes de ce pays d’adoption, même s’il y avait des différences au quotidien. L’exil en France a été plus violent, car les différences de culture, de climat et de mode de vie sont très marquées. Le pire reste la barrière de la langue ! Ce que j’ai découvert dans l’exil, c’est qu’il existait des diasporas, des Français d’origines iraniennes ou afghanes, qui peuvent nous accompagner et nous aider à nous intégrer. C’est une chance inestimable. Aussi, je dirais que ce que m’a appris l’exil, pour avoir traversé et vécu dans plusieurs pays, notamment en Angleterre, c’est que tous les hommes ne sont pas mauvais ou racistes. Il faut faire le tri et trouver les bonnes personnes, qui nous correspondent et avec lesquelles nous pouvons grandir et nous épanouir. Finalement, c’est une philosophie qui est valable pour tout le monde, indépendamment de votre nationalité, de votre religion ou même de votre parcours.

Quel conseil donneriez-vous aux futurs candidats, artistes exilés, qui hésitent encore à se présenter au Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation ?

D’abord, je voudrais leur dire que je les comprends ! Quand vous êtes déracinés, vous vous remettez en question. Vous doutez de vous et parfois, vous avez honte de ne pas comprendre la langue, ni même l’écriture du pays qui vous accueille. Mais ensuite, je voudrais surtout leur dire que les équipes du Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation sont très organisées.

Les artistes sont accompagnés par des traducteurs et des professionnels à chaque étape de leur parcours, sans jugement sur leur condition d’exilés. Ils ont des outils pour réellement vous suivre et vous aider à mettre en forme votre talent.

Pour mon cas particulier, ils m’ont proposé les services d’une traductrice d’exception : Leili Anvar, qui est une universitaire et une écrivaine, parmi les plus renommées de sa génération ! Ils m’ont mis en lien avec des maisons d’édition et ils fournissent également une visibilité, en nous faisant monter sur des scènes prestigieuses pour présenter notre travail.

Certains artistes, notamment pour l’art visuel, bénéficient d’une résidence artistique d’un mois, grâce au partenariat avec la Fondation Fiminco, qui ouvre encore d’autres portes aux lauréats de cette catégorie, comme l’exposition de leur œuvre dans leurs ateliers ou auprès de leur réseau de galéristes.

Le prix fonctionne en réseau avec d’autres associations du champ artistique et social comme l’Atelier des Artistes en Exil qui fait également un travail extraordinaire pour les artistes ayant vécu un parcours d’exil compliqué.

Vraiment foncez ! Le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation est une opportunité rare, que vous ne trouverez pas dans d’autres pays. Je peux largement en témoigner et je suis très honoré de pouvoir le faire dans cet entretien.