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Prix Habib Sharifi

Hura Mirshekari

Par Sophia Gaillard, Paris, le 15 mai 2025

Rencontre avec une artiste écorchée libre !

En 2024, la plasticienne et chanteuse Hura Mirshekari devenait lauréate du Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation. Une artiste iconoclaste, issue d’une minorité iranienne vivant à la frontière de l’Afghanistan, appelée les Sistanis. Elle se fait porte-parole de sa langue maternelle et de sa culture à travers la diaspora. Son filet de voix, éthéré et timide, se métamorphose en une puissante détonation : claire, imprévisible et inclassable lorsqu’elle chante. Après des études de mathématiques en Iran, celle qui se définit d’abord comme chanteuse, interprète et compositrice, a commencé par l’art pictural : la peinture moderne, les collages ainsi que les sculptures de bustes féminins. Comme un pied de nez à son enfance iranienne, où les corps des femmes sont une offense, qu’il faut bannir de la société. Exilée en France depuis 2016, Hura Mirshekari est une survivante surdouée, dont le talent ne laisse personne indifférent.

Comment vous définissez-vous en tant qu’artiste exilée ?

Je suis une artiste libre et rebelle : la création est une seconde nature pour moi. Tout mon art est inspiré par mes racines sistanes et par l’éternel féminin en chacun de nous. J’ai fait des moulages de certaines parties de mon corps, que j’ai mis en scène pour rappeler la difficile condition des femmes en Iran et la censure, qui  pèse chaque jour sur leur corps, leurs cheveux. Mon travail est avant tout un message féministe et politique assumé. Ma toile « Regarde-moi » a été mise en avant au festival « Voix de Femmes musulmanes », en Californie en 2011. Quatre ans plus tard, mon tableau « Après la Guerre », fut sélectionné au Festival de la Paix de Téhéran.

Pourtant, en 2016, je décide de m’exiler en France, car je me sentais constamment oppressée et limitée, dans ma vie de femme, mais également en tant qu’artiste. Tout s’enchaîne très vite. En janvier 2018, ma création « Exécution » est retenue pour être exposée au Palais Royal à Paris, au Ministère de la Culture. Ensuite, c’est le Musée de l’Histoire de l’Immigration qui a exposé mon tableau « Regarde-moi » : un portrait monumental comme un cri à la liberté d’exister dans toute sa féminité.

Même si je ne renie pas cette partie de mon expression artistique, c’est à travers la musique et le chant, que je me sens complète en tant qu’artiste aujourd’hui. Je peux continuer à mettre en avant ces thèmes féministes, tout en véhiculant ma langue maternelle, un dialecte en voie de disparition. J’utilise mes cordes vocales comme un outil d’exploration sonore, pour me libérer des tabous et des conventions. Je crée ainsi un espace musical vibrant en sistani, ce qui est une grande première, puisque les femmes de mon pays n’ont pas le droit de chanter en public. En concert, je suis très physique et mes prestations sont parfois des moments puissants de transe et de communion avec mon public. La scène ne triche pas. C’est ce que j’aime le plus dans mon travail. Cela pourrait vous surprendre, mais j’ai commencé mes performances par le mime (rires) !

Quand votre voix, si singulière et si puissante, est-elle enfin sortie de votre corps de mime ?

Ma vocation de chanteuse est d’abord l’histoire d’une double rencontre : celle avec Payam Sistani : un poète iranien, exilé en Norvège. Il est spécialisé dans la littérature issue de ma région natale, le Sistan. Il m’a proposé de lire quelques poèmes dans cette langue, qui est chère à mon cœur, pour voir s’ils m’inspiraient et si l’on pouvait les mettre en musique. En les déchiffrant, j’ai instinctivement commencé à fredonner mes premières mélodies, alors que des larmes ruisselaient sur mon visage.

J’avais enfin trouvé ma voie : je savais que je voulais chanter.

L’autre rencontre déterminante fut celle avec le Français Renaud Satre : un passionné de musique électronique et producteur de génie. Le premier à avoir cru en moi. Il a produit mon premier EP (mini-album de six chansons), intitulé « Hura », ce qui signifie « Liberté » dans mon pays. Il est sorti le 28 juin 2024 sur toutes les plateformes de streaming (Spotify, YouTube, Apple Music, etc.). Je suis la première femme au monde à chanter en sistani et ce devoir de mémoire est très important pour moi et pour mon peuple, qui vit dans une pauvreté et une oppression inouïes en Iran. Nous sommes actuellement sur la préparation d’un nouvel album EP, avec six autres chansons en préparation. Ce sera un peu différent : nous aurons des duos originaux avec deux chanteuses anglaises et une Française. J’ai hâte de vous le présenter !

Qu’est-ce que le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation a changé dans votre vie ?

Tout d’abord, il y a eu ce poème incroyable de Habib Sharifi « Dâd », en français « Le Cri ». Ces vers, tissés dans l’or des mots du poète, étaient comme un écho à la douleur de mon âme. Je cherchais comment puiser dans ce poème, la force et l’inspiration de créer un texte et une musique, qui lui rendraient vraiment hommage.

J’ai candidaté, en proposant une création singulière et quasi onirique : les mots du poète Habib Sharifi sont lus par un homme, en voix off, sur une mélodie électronique, orchestrée par Renaud Satre et ponctuée par mes chants en sistani, écrits par Payam. Sur scène, je suis simplement vêtue d’un shalvar kameez blanc (tenue traditionnelle persane, composée d’une longue tunique et d’un pantalon ample ndlr). Mes pieds sont sur du sable et je suis comme emprisonnée sous un dais (à la façon d’une houppa) à la charpente métallique fine,  dont les parois sont pourtant vides. Le toit, transparent et fragile, de cette structure porte également du sable. Il était important pour moi de représenter mon identité artistique, en tant que femme chantant en sistani et venant du Sistan.

Cette mise en scène est une allégorie, qui rappelle ma région natale. Le Sistan se meure littéralement, dans un désert des plus arides. Le sable brûlant avance chaque jour un peu plus sur les populations et envahit progressivement leurs maisons. L’Afghanistan a dévié la seule rivière, qui irriguait nos terres et faisait vivre les Sistanis. Je ne pensais vraiment pas être sélectionnée.

Ce Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation m’a permis de réaliser mon rêve et de performer devant un public très hétéroclite. Je peux dire que c’est à ce moment-là, que je suis vraiment née, en tant qu’artiste de scène. J’ai d’ailleurs appelé ce morceau « Dâd » (« Le Cri »), en hommage au poète. Depuis, j’ai été invitée à me produire sur de grandes scènes parisiennes, notamment lors d’un concert mémorable au Théâtre de la Concorde, où j’ai pu chanter mes dernières compositions, devant plus de 650 personnes. En mars dernier, j’ai présenté certaines de mes compositions sur la scène du Théâtre Fontaine devant un public exceptionnel. Les propositions s’enchainent et j’aimerais beaucoup participer à des Festivals de musique ou à des tournées, en France et en Europe.

Ces scènes ouvertes sont une chance et un tremplin extraordinaires pour une artiste exilée. De plus, ce Prix m’a permis de rencontrer d’autres artistes merveilleux et de côtoyer un milieu littéraire et intellectuel, qui m’enrichissent et m’apportent beaucoup au quotidien.

Qu’est-ce qui vous a touché plus particulièrement dans ce poème ?

C’est la profondeur des vers de ce poème.  « Dâd », c’est un cri qui sort de l’âme. C’est le courage de survivre à l’exil, qui vous déracine et vous fait perdre tous vos repères. C’est comme le premier cri de la naissance, de la vie. Ce poème me bouleverse et m’inspire en même temps.

Quel conseil donneriez-vous à un artiste en exil, qui hésite à postuler pour le Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation ?

Cela demande beaucoup de courage et sans doute, un petit grain de folie, pour oser postuler (rires) ! Comment savoir si l’on est assez bon, assez légitime pour présenter son projet ? C’est assez naturel pour un artiste de douter, mais lorsqu’on a vécu l’exil dans sa chair, c’est encore plus dur. Pourtant j’ai osé. Moi qui suis si timide. J’ai envie de dire aux artistes qui hésitent, de rêver très fort leur vie et de se lancer sans trop se poser de questions ! Dans mon cas, j’ai eu beaucoup de chance, mon amie Shayda Hessami m’a encouragée et m’a permis de découvrir le Prix Habib Sharifi, je lui dois beaucoup !

Ce dont je peux témoigner, c’est que ce Prix n’est pas juste une étiquette : c’est un véritable passeport artistique ! La rencontre avec Amir Sharifi, le Président du Prix Habib Sharifi de la Conatus Foundation et son équipe, a été déterminante dans ma progression artistique. Amir est tel un phare dans l’obscurité : il est une force vive et une lumière dans notre détresse. A travers ce Prix, il donne un éclairage et ouvre vraiment des portes, au-delà de nos espérances. Sans jamais rien attendre en retour. L’impact de ce Prix a été immense dans mon parcours et dans ma carrière naissante de chanteuse. Je souhaite à tous les artistes en exil de connaître un jour ce bonheur. Alors osez !